VIE ACi

Conférence de Philippe Lamberts – ACi, 16/10/2018
« Quelle Europe pour un bonheur partagé ? » Quelles alternatives à l'Europe néo-libérale ?
Si juste après la guerre, le projet européen était associé au bonheur, ce n'est plus vraiment le cas aujourd'hui.
Ce qui est une évidence, c'est le fait que la Belgique appartient au projet européen. Pourtant, même ici il y a des doutes.
L'Europe semble devenue une machine à problèmes sur le plan social et démocratique. Or du point de vue démocratique, les choses se sont plutôt améliorées : on assiste à une progression dans la construction de notre démocratie transnationale.
Mais les politiques menées par les députés européens semblent heurter l'intérêt général :
- Autorisation de l'utilisation de produits chimiques toxiques
- Traités de libre-échange
- Systèmes fiscaux injustes
Le citoyen se demande au service de qui est l'Europe !
Les décisions prises par les politiques européennes favorisent une toute petite frange de la population : elles enrichissent les riches car il paraît que tout le monde en profite ensuite.
C'est le résultat de l'idéologie néo-libérale
Ce n'est pas l'Europe qui est néo-libérale, ce sont les États membres qui ont des majorités néo-libérales.
Il y a une opposition entre deux tendances : ceux qui disent que de toute façon il n'y a d'Europe que comme véhiculisation du néo-libéralisme. C'est comme ça, on ne peut pas résister, donc il faut s'adapter (Cf Macron)
Et ceux qui combattent cela et prônent la sortie de l'Union : les nationalistes, populistes, plaident les replis nationaux.
Cette opposition est toxique et artificielle, on doit y résister. D'autres choix sont possibles. Le choix néo-libéral n'est pas inéluctable.
Les écologistes font un travail pro-européen
Il est suicidaire pour l'Europe de se replier sur le nationalisme.
Un petit pays comme la Belgique s'en rend bien compte, mais de grands États comme l'Angleterre, la France ou l'Espagne, qui ont été des super puissances (et enseignent qu'elles le sont encore) ont plus de mal à accepter cette idée d'Union Européenne.
C'est la raison pour laquelle il faut réorienter les choix politiques au niveau européen, remettre les valeurs européennes au cœur du projet.
Quelles sont ces valeurs ?
L'article 1er de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne parle de « dignité humaine ». Or qu'est-ce que la dignité humaine, c'est mener une existence qui vaut la peine d'être vécue.
Ce combat est difficile car au niveau des idées des économistes, on nous apprend que l'être humain est décrit selon sa fonction d'utilité, son intérêt (capacité d'achat)
On parle de l'« homo economicus » = machine à maximiser l'intérêt personnel.
Quand nous disons que quelque chose n'a pas de prix, cela signifie que ce quelque chose a beaucoup de valeur pour nous.
Par contre, pour l'économiste, ce qui n'a pas de prix, n'a pas de valeur (beauté, amitié, liens, etc.)
Pour l'économiste, le nous n'existe pas. La société est une somme de « je ».
Cela suppose que chaque être humain ait accès à toute l'info disponible, calcule les futurs possibles et fasse les choix qui maximisent sa fonction d'utilité.
Or nous ne fonctionnons pas comme cela. Non seulement il n'est pas possible d'avoir accès à toute l'info, mais en plus on ne peut la faire entrer dans un algorithme qui permettrait de choisir de façon optimale.
Cette théorie ne décrit pas le réel mais plutôt comment il doit fonctionner.
Si le réel ne fonctionne pas comme la théorie, c'est le réel qui a tort.
La loi de l'offre et de la demande réclame des hypothèses simplificatrices :
- tout être humain a la même fonction d'utilité
- on a des préférences homothétiques à nos revenus (la demande augmente dans la même proportion que notre revenu, ce qui n'a pas de sens dans le cas, par exemple, de l'achat de papier de toilette).
Cette théorie économique présentée comme science est le soubassement des décisions politiques.
Quand ça rapporte, il faut le faire.
Ex : si ça rapporte de détruire la forêt amazonienne, allons-y! On a une vue à court terme : 10 ans maximum. Car on ne fait pas d'estimation des dégâts à long terme.
Cette idéologie pénètre partout, y compris dans nos inconscients.
L'impôt apparaît à la plupart d'entre nous comme une charge fiscale et non comme une contribution (ma part de quelque chose de plus grand)
Il est difficile de sortir de cela, de changer d'idéologie, car cela fait partie de nous. Si on renie cela, on se renie, d'autant plus si on est un décideur politique.
C'est une imposture intellectuelle et j'ai basé ma vie dessus ! Il est impossible de se dire cela.
Or il faut arrêter de faire le jeu de ceux à qui profite cette idéologie ; ils sont de moins en moins nombreux, et profitent de plus en plus (moins de gens riches, mais qui deviennent de plus en plus riches).
En outre, on robotise de plus en plus.
On ne demande pas au travailleur de penser, on lui demande d'exécuter.
→ burn-out, car l'être humain ne se retrouve pas dans cette logique.
Même l'enseignement est dans cette logique : les professeurs d'économie sont choisis parmi les gens qui ne remettent pas en cause le système. D'où ils continuent d'enseigner cela à leurs étudiants.
Est-on capable de sortir à temps de cette idéologie mortifère ? (mortifère, oui, car des gens meurent à cause de cela). Et comment ?
C'est notre enjeu aujourd'hui, car notre bonheur en dépend.
Chez le jeunes, beaucoup ne sont plus acquis à ce système.
Questions posées par les participants :
En août, on arrive à un moment où on a consommé les ressources de la terre pour un an. Ce jour arrive de plus en plus tôt chaque année. Que fait l'Europe par rapport à cette surconsommation des ressources ?
On arrive à un point de basculement point de vue climat : à un moment, la terre ne deviendra plus jamais habitable. Idem en ce qui concerne l'exploitation des ressources : eau, pétrole, etc.
L'Union Européenne adopte certaines mesures :
- rendre les produits moins obsolescents
- améliorer l'efficacité de certains produits : faire plus avec moins
Mais on est toujours dans la même logique : faire plus.
Arrêter la logique du toujours plus, c'est sortir du système et ça, les politiciens européens ne peuvent même pas l'envisager. C'est la mauvaise nouvelle.
La bonne nouvelle, elle vient de certains économistes, qui pensent autrement. En général on les exclut des débats, des postes d'enseignants, donc ils travaillent entre eux.
Mais on a organisé à Bruxelles une rencontre entre les économistes orthodoxes (partisans du système) et hétérodoxes (qui pensent autrement). Cette rencontre a été très positive. Donc, on commence à voir que le modèle se fissure peu à peu.
La question est : les idées progressent-elles assez vite ?
On a tous une forte résistance au changement !
Quelles seraient des pistes de changement ?
Comme citoyen on vote tous les jours par notre façon de consommer. La grande distribution est terrorisée par le pouvoir du consommateur.
L'action citoyenne s'arrête à l'institution démocratique. Il est important d'investir les institutions démocratiques car le changement des règles du jeu se passe là.
Que signifie le fait que Macron est le président des riches ?
C'est le citoyen qui crée de la richesse, et non pas le 1 % des gens les plus riches. Ça c'est faussé. Un enseignant, une infirmière, etc. créent de la richesse.
Les écarts de revenus de 1 à 400, est-ce normal ? On a des capacités, des compétences, de métiers différents, mais qui ne justifient pas de tels écarts.
Autre exemple : Bart De Wever prône l'intérêt du citoyen flamand riche. C'est un néo-libéral pour qui la dignité de l'Homme n'existe pas.
Il pense que rendre les riches encore plus riches profite à tout le monde d'où il peut dormir sur ses deux oreilles.
Quid des investissements, des innovations ?
Innover, investir, c'est important. Mais il faut que ce soit le résultat d'investissements publics. Le privé n'investit que si le rendement est garanti. Par contre, il veut des garanties données par l’État en cas de risques. Donc il y a là un paradoxe.
Carrefour emploie des centaines de milliers de personnes, mais à quelles conditions ?
On parle ici de Transition, pas de révolution. Si Carrefour tombe en faillite, il faudra inventer autre chose.
Parfois les actionnaires se cassent la gueule et il ne faut pas les sauver, mais il faut sauver les employés (avoir des assurances-chômage…)
Il faut renforcer l'importance de la Sécurité sociale, car il va y avoir des perdants. (période de transition).
Je souhaite la fin du modèle Carrefour. La grande distribution veut élargir l’étiquetage du bio. Mais le consommateur ne mange pas une étiquette, il mange un produit sain. L'UE va dans le sens des producteurs.
Quels impacts possibles de la prise de conscience des fonctionnaires européens ?
Énorme impact !
L'hégémonie des méthodes orthodoxes recule.
Mais le parlement européen est très conservateur. En plus, il est hors sol, déconnecté du réel. Macron avait eu une bonne idée en faisant venir dans son gouvernement des gens qui étaient bien ancrés dans le sol. Mais il les fait taire maintenant (et ils s'en vont).
On est déconnecté du réel quand on fait de la politique. En plus, on a tendance à l'endogamie, c'est-à-dire à engager ses pairs. La plupart des partis politiques ne sont pas des démocraties.
Augmentation de la population ?
Notre planète peut héberger 10 milliards d'habitants. Doit-on entrer dans la logique chinoise (politique de l'enfant unique) ? Non je ne crois pas. Il y a une propension naturelle de l'Homme à réguler. Une société comme l'Europe se stabilise au niveau population. Faire confiance en la sagesse populaire de l'être humain.