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Pour la rencontre COMECE de septembre 2018 : Apport de l’ACi Belge (Par Ignace Berten en 2013)
Par Isabelle LOSSEAU
Pour la rencontre COMECE de septembre 2018 : Apport de l’ACi Belge (Par Ignace Berten en 2013)
"Evolution de la société dans le contexte européen et l'incidence sur les intuitions des mouvements du MIAMSI en Europe, comment nous sommes interpellés !"
Déjà en 2013, Ignace Berten dans un exposé lors de la session vie foi « De l’Évangile à l’espérance : quel sens aujourd’hui ? » avait brossé un état des lieux de l’Europe et de l’Église en crise et comment l’ACi pouvait réagir.
Cette analyse (22 pages) me semble toujours actuelle, j’y souscris et j’en reprends quelques éléments en actualisant au besoin.
Société en crise, avec des modifications importantes dans les rapports à l’espace et au temps.
- Le monde est un village pour les gens connectés et l’immédiateté des informations contraint aussi des décisions politiques rapides sans prendre le temps et le recul nécessaire pour une décision réfléchie.
- Les incertitudes face aux nouvelles technologies, un bien souvent mais avec des risques pas toujours contrôlés.
- L’éclatement des références, que ce soit au niveau de la famille, des religions, de la politique.
- Les inégalités entre pays, mais aussi au sein d’un même pays augmentent et il y a urgence d’une modification de comportement si on veut sauver la planète.
Europe en crise, sans un véritable projet politique commun, avec une solidarité réduite au minimum avec comme conséquence un euroscepticisme croissant.
Église institution en crise : Du temps de Benoit XVI, il y a eu un refus de tout débat interne sur certaines questions d’une société en pleine mutation et pas de démocratie. Avec le pape François, cela change mais cela ne se fait pas sans grincement de dents à Rome.
Que faire pour réagir : il s’agit de réajuster
- notre rapport aux autres : c’est tous ensemble, dans la solidarité et la coopération que nous pourrons en sortir ;
- notre rapport à la nature, qui n’est pas un fonds inépuisable de ressources à notre disposition, mais appel à une existence en harmonie ;
- notre rapport aux choses, dans la mesure et la sobriété, contre la surconsommation et le toujours plus ;
- notre rapport au temps, en réintégrant la durée longue, contre les impératifs du profit ou de l’intérêt immédiats ;
- notre rapport à l’espace, à l’inverse d’une urbanisation de mégapoles ingérables.
Obstacles à ce changement
- le discours idéologique qui canonise la théorie selon laquelle plus de croissance et d’enrichissement des riches rejaillira spontanément et par diffusion en une diminution de la pauvreté, théorie jamais démontrée, de multiples indices indiquant que cette corrélation est fausse ;
- la répartition diffuse de l’intérêt à ce que le système continue : on attend spontanément que l’argent placé ou l’assurance pension apportent le maximum d’intérêt sans s’interroger sur la façon dont cet intérêt est obtenu;
- le sentiment d’impuissance : cela nous dépasse, c’est trop compliqué, et de toute façon on ne peut rien y faire ;
- la conviction qu’il n’y a pas d’alternative : il n’y a pas un système économique et productif alternatif crédible.
Le changement nécessaire suppose :
- une prise de conscience collective de la gravité de la situation et du sens de l’urgence ;
- la mobilisation la plus large possible : il ne suffit pas de changer les élites ; il y a nécessité d’un leadership qui ne se présente pas comme ayant la solution, mais capable de sensibiliser et d’orienter. « Un autre monde est possible », et la responsabilité de chacun et chacune est engagée, la responsabilité des associations et des institutions également. Et aussi la responsabilité des communautés chrétiennes et des Églises. Il y a urgence à instaurer des lieux démocratiques de débat sur le sens de notre vie ensemble en société.
Du point de vue éthique, on peut dire qu’il y a urgence à revaloriser le bien commun au sens où le définit l’enseignement social de l’Église catholique : la recherche des conditions économiques, sociales et politiques qui permettent d’assurer à toutes les personnes et à tous les groupes sociaux (au niveau local, national, européen et mondial) l’accès à leur meilleur épanouissement. Aujourd’hui, on est très loin du compte.
Quelques réflexions en vrac :
- Nous pouvons relire la mort et la résurrection de Jésus au cœur de cette dynamique prophétique de l’histoire. Jésus a été condamné par le Temple et par l’Empire. Ces deux puissances ont disparu depuis des siècles, mais l’Évangile vit toujours. On peut dire qu’en Jésus, Dieu assume cette dynamique historique.
- Face au sentiment d’impuissance, c’est dans le réel qu’on peut lutter : c’est aussi la pratique de Jésus : des humbles gestes qui ont remis des gens debout, leur ont rendu leur dignité. Et par là une mise en cause du système. Semence jetée en terre qui continue à porter du fruit.
- Qu’est-ce qu’évangéliser ? Évangéliser ce n’est pas d’abord élargir le périmètre de l’Église, c’est ouvrir activement un espace où des hommes et des femmes puissent vivre de l’esprit du Royaume, connaître le bonheur de vivre par et dans l’esprit du Royaume.
- On insiste souvent dans l’Église sur la visibilité. Mgr Rouet fait remarquer que dans une perspective d’évangélisation, il ne s’agit pas d’être visible, mais d’être lisible : que l’Évangile soit lisible dans la manière d’être et de faire des croyants et des communautés.
- La lutte aujourd’hui pour plus de dignité et de reconnaissance des exigences de la dignité s’enracine dans l’indignation : des situations indignes de l’être humain. De ce point de vue, il importe de développer une pédagogie de l’indignation.
Dans une telle démarche, le chrétien porté par ses convictions, doit aussi accepter d’être déplacé, de reconnaître par et dans la parole de l’autre que telle évidence partagée au sein de la tradition de son Église, que telle pratique ecclésiale, tel type de discours sont en fait indignes de l’être humain. Et donc militer aussi pour des changements dans les Églises. C’est une question de crédibilité.
- Mais il faut aussi nourrir l’utopie, une image motrice globale, une direction vers laquelle il faut tendre : une société de dignité pour tous, de participation et de liberté, d’inégalités restreintes et contrôlées, etc. Une direction qui permet d’évaluer les politiques en cours à partir de leurs effets réels et d’orienter les décisions à prendre.
Conclusion :
Nos mouvements sont des lieux privilégié pour :
- soutenir le travail d’information et de réflexion personnelle.
- se mettre à l’écoute des différentes expériences humaines et croyantes, dans l’ordre social et éthique, et de l’expression réfléchie de ces expériences.
- ouvrir des espaces d’échange et de débat sur ces questions, afin de favoriser une parole commune du mouvement, quitte à dire aussi clairement sur quoi il y a absence de consensus.
- valoriser, à travers l’ensemble de cette démarche, l’apport de la tradition chrétienne et de l’Évangile, tout en étant ouvert à des adhésions ou non-adhésions diverses quant à la façon de ratifier personnellement cette tradition en la faisant sienne.
- assumer publiquement dissidence et transgression lorsque cela s’impose suite à un travail sérieux et la formation d’une conscience réfléchie et partagée.