Spiritualité

L’un sème, l’autre moissonne… Les cœurs se transforment.

Par Béatrice Piérard-Capelle

Jean 4, 31-38

31Pendant ce temps les disciples le pressent : « Rabbi, lui disent-ils, mange. »32 Mais il leur répond : « Pour moi, j’ai à manger une nourriture que vous ne connaissez pas. » 33Les disciples se demandent : « Quelqu’un lui aurait-il porté à manger ? » 34Jésus leur dit : « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre. 

35 Ne dites-vous pas : ‘Encore quatre mois et ce sera la moisson ?’ Eh bien, moi, je vous dis : ‘Levez les yeux et voyez les champs ; ils dorent pour la moisson. 36 Dès à présent, le moissonneur reçoit son salaire et amasse du grain pour la vie éternelle, de sorte que le semeur partage sa joie. 37 Ainsi le dicton se vérifie : l’un sème, l’autre moissonne. 38 Moi, je vous ai envoyés moissonner un champ où vous n’avez pas peiné. D’autres y ont peiné et vous, vous recueillez le fruit de leurs travaux.’ »

Nous observons que ce texte interpelant s’insère entre deux versets répétitifs : v.29, un homme m’a dit tous les péchés que j’ai commis,  et v.39, il m’a dit tout ce que j’ai fait.  Il a donc été inséré intentionnellement à cette place pour apporter un éclairage particulier au récit. Au v.29, la Samaritaine invite ses concitoyens à venir voir cet homme étonnant qui lui a parlé. Dans la répétition, v.39, nous lisons que les hommes croient en lui, à cause de cette parole. Que veut-il nous dire ?

Revoyons le contexte. Jésus est fatigué, il a faim, il a soif, les apôtres sont allés chercher à manger. Ils sont en Samarie, territoire ennemi. Quand ils reviennent, ils pressent Jésus de manger, mais celui-ci semble ne plus avoir faim au point qu’ils se demandent si quelqu’un lui a apporté à manger ! D’ailleurs il leur dit avoir une nourriture qu’ils ne connaissent pas ! (v.32) De quoi parle-t-il donc ? Ma nourriture, c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre… (v.34)  telle est la réponse de Jésus. Ne parlait-il pas, à leur grand étonnement, à une femme quand ils sont arrivés ? En effet, une femme est venue au puits, et pas n’importe quelle femme ; elle avait au moins trois défauts : elle était femme, de mœurs légères et Samaritaine ! Jésus n’hésite par à enfreindre les règles, les tabous sociaux, pour révéler dans le cœur de cette femme tout le bien dont elle est capable ; il accomplit l’œuvre du Créateur, en lui révélant la possibilité de vivre en plénitude. Cette rencontre la touche à un point tel qu’elle s’en va chercher les hommes : venez voir un homme qui… n’est-t-il pas le Messie ? (v.29)

Jésus dit encore « l’un sème, l’autre moissonne ». Ici, c’est lui qui sème, en libérant ; la Samaritaine reçoit ce signe messianique d’espérance, elle y répond (v.29) et dès maintenant, le semeur partage sa joie. (v.36)  Serait-ce là cette nourriture que [les apôtres] ne connaissent pas ? Qu’a fait Jésus ? Il commence par lui parler, lui faire sentir qu’il a besoin d’elle : toute Samaritaine qu’elle est, elle a donc de la valeur à ses yeux ; ensuite, il ne la condamne pas mais l’amène à réfléchir elle-même sur le sens de sa vie (ses maris), sur celle de sa communauté (problème du schisme religieux de la Samarie) ; il éveille sa conscience à un esprit critique qui va dans le sens d’un monde meilleur : une brèche est creusée dans tous « les murs de la honte », et la Samaritaine sent couler en elle ces paroles de vie.  Jésus parle d’eau vive, en suscite le désir et ouvre des horizons nouveaux qui vont au-delà des limites morbides instaurées par les hommes. C’est l’heure d’adorer « le Père en Esprit et en Vérité » (v.24) plutôt que dans un lieu temporel, voire à connotation nationaliste (Jérusalem) : « les adorateurs, Dieu les recherche ; il est Esprit ; c’est dans l’esprit et dans la vérité qu’il est séant d’adorer ». Ceci n’est pas sans rappeler l’alliance entre le Père et la création. C’est aussi une question de relation entre tous les hommes, coresponsables du monde. Chaque homme porte en lui le germe d’amour du Créateur. Parce qu’il est aimé de Dieu, son cœur se transforme, il peut bâtir un monde nouveau, le « Royaume de Dieu ». C’est le temps de l’espérance, de la résurrection. Jésus, en se donnant à tous, est venu révéler ce possible. Par lui, celui qui est tombé peut se relever ; celui qui l’ac-cueille n’a jamais fini d’aimer, avec cette même compassion active du Seigneur. Peut-on adorer Dieu sans aimer les hommes ? Sans leur reconnaître à tous le droit de vivre dans la dignité ? Jésus est animé par l’ « Esprit de vérité » tout au long de sa vie (il défend le petit, le pauvre ; il guérit, soigne, écoute, nourrit, console, s’indigne…) ; il répand son esprit dans les cœurs des hommes, y compris des non-juifs. Les samaritains viennent à lui et croient en lui : le salut est entré en Samarie (v. 24), Jésus ne les fait pas quitter leur pays ! A tous ceux qui le désirent, il est donné d’« ajuster » sa vie à la sienne, dès maintenant et partout. Ce n’est pas réservé à un « petit peuple », ni à une Eglise !

Cette libération de la mort ne veut pas dire liberté débridée. Le libre-arbitre qu’elle nous confère nous met devant nos propres responsabilités, en fonction de nos finitudes. Qu’allons-nous en faire ? Là où nous sommes, soyons des faiseurs d’humanité : si la loi est au service des hommes et non les hommes au service de la loi, qu’il en soit de même pour ce que l’on appelle le « progrès ». Il faut oser s’interroger sur « les privilèges de la bonne conscience » qui sclérosent l’intelligence du cœur, dans un monde où tout évolue. Prendre nos responsabilités, pour agir dans le sens de la Vie, c’est aussi faire acte de libération et de justice. Faire la volonté du Père, c’est être créateur à son tour, c’est travailler à la dignité humaine de l’homme quand la vie de celui-ci en est dépourvue. Le Royaume, c’est dès maintenant.

 

 

Questions pour continuer la réflexion                                                                                              

  1. Dans ce texte, c’est Jésus qui sème et l’homme qui moissonne, et dès maintenant le semeur partage la joie du moissonneur. Pouvons-nous illustrer, dans l’actualité, un ou des faits qui correspondent à cette affirmation ?
  2. Avons-nous rencontré, dans notre vie, des moments où la Parole nous a libérés et a éclairé notre comportement ?
  3. Concrètement, qu’attend Jésus de nous ?

 

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