Dossier - "Pour éduquer à la responsabilité"
L'éducation vue par la philosophie
Par Halil Koyunçu,
jeune Belge d’origine turque, étudiant en 2ème année de Bachelier en éducation Spécialisé – accompagnement psycho-éducatif.
(Ecole : C.E.S.A. avenue Montjoie – Uccle)
Le cours de philosophie m’a permis de me faire une idée plus claire de ce qu’est la philosophie et du lien qu’elle peut avoir avec le métier d’éducateur. Tout au long de ce cours, nous avons vu plusieurs philosophes, mais Kant a particulièrement attiré mon attention. La philosophie de Kant pousse à oser penser, oser réfléchir, oser avoir l’audace de penser par soi-même.
Se remettre en question demande beaucoup de courage et de détermination. Kant insiste sur la grande importance qu’il y a à réhabiliter la raison. Il parle de minorité, au sens intellectuel du terme, ce qui signifie un état qui accepte l’autorité de quelqu’un d’autre, l’état de celui qui n’est pas responsable de ses actes.
Il parle également de majorité, qui contrairement à la minorité, signifie avoir le courage de réfléchir, de se remettre en question, de pouvoir prendre ses décisions soi-même sans l’aide de personne et surtout d’accepter les conséquences de ses actes.
Dans la vision de Kant, la notion de liberté est très importante. Pour lui, tout le monde est capable de devenir libre et autonome.
Comme éducateur dans l’enseignement, je travaille la plupart du temps avec des adolescents, qui ne sont pas encore matures, et n’ont pas encore de jugement personnel.
Ils n’ont donc pas encore accédé à la maturité dont parle Kant. Les rendre plus autonomes et responsables de leurs actes est l’une de mes priorités.
L’œuvre de Kant « qu’est ce que les lumières m’a permis de faire des liens avec ma pratique professionnelle.
Je vais commencer par une phrase de Kant du début de l’article.
« Aie le courage de te servir de ton propre entendement ».
Par cette phrase, Kant veut dire que l’homme doit accéder à sa propre majorité, s’émanciper de ceux (les prêtres sont visés) qui lui dictent sa pensée et sa conduite que l’homme ne se prend pas en main, qu’il accepte d’être guidé par de tuteurs.
Cela me fait penser à une situation que j’ai vécue dans ma pratique professionnelle : un conflit entre un élève et un professeur. L’élève était persuadé que le professeur avait une dent contre lui, qu’à chaque cours, c’était lui qui se faisait prendre son cahier pour voir s’il était en ordre, que c’était systématiquement lui qui était envoyé au tableau pour répondre aux questions et lui encore qui était souvent exclu du cours pour diverses raisons. Cette situation rendait l’élève rebelle.
Après lui avoir proposé de réfléchir sur lui-même et sur les raisons pour lesquelles le professeur réagissait ainsi avec lui, et avoir discuté de ce sujet, l’élève est arrivé à la conclusion que le professeur ne lui en voulait pas à lui, personnellement, mais à ses actes et à ses réactions.
En réfléchissant par lui-même, l’élève a fini par comprendre les réactions du professeur, que le motif en était son comportement, et il a accepté de changer pour avoir un meilleur contact avec le professeur.
Finalement, l’élève a fini par comprendre qu’il y avait une différence entre sa personnalité, lui-même, et ses réactions, son comportement. Tous les préjugés que l’élève avait contre le professeur sont ainsi tombés.
Je vais citer maintenant un autre passage du même article, « L’usage privé de notre raison doit toujours être libre, et lui seul peut amener les lumières parmi les hommes : mais son usage public peut être sérieusement limité, sans pour cela empêcher sensiblement le progrès des lumières ».
Kant nous dit dans cette citation que l’usage privé est illimité, c’est à dire qu’on est libre d’avoir une pensée sans limites. Il veut dire que réfléchir peut nous faire évoluer et découvrir des solutions nouvelles.
Si l’usage privé est illimité, cependant, chacun doit respecter l’ordre public. « Sans pour cela empêcher sensiblement le progrès des lumières » c’est à dire qu’on doit respecter l’ordre public, mais cela ne nous empêche pas d’être libre de penser.
Cette citation me fait penser à l’interdiction de fumer dans l’école où je travaillais. Bien que la loi était sur le point de passer pour tous les établissements scolaires, le préfet de l’école n’avait pas encore pris la décision d’interdire aux rhétos de fumer dans leur cour de récréation.
Je n’étais pas d’accord avec le préfet mais je devais obéir à ses ordres et au règlement de l’institution. Par contre, cela ne m’empêchait pas de continuer à sensibiliser les élèves au danger du tabagisme au cours de réunions et de discussions avec eux.
Il y a une dernière citation de Kant qui m’a fort interpellé et dans laquelle Kant se pose une question : « Vivons-nous actuellement dans un siècle éclairé ? » réponse de Kant : « Non, mais bien dans un siècle en marche vers les lumières ».
Cette phrase est optimiste et positive. Kant est confiant dans le progrès intellectuel de l’être humain, même si à aucun moment l’idéal des lumières n’est atteint. Actuellement, les hommes ont plus de liberté de pensée, du moins en occident, qu’au XVIIIe siècle. Cependant, la conjoncture ne permet pas toujours de construire la vie que l’on voudrait.
Pour des raisons financières beaucoup de jeunes restent coincés dans leur famille et tombent parfois dans une paresse intellectuelle indigne des lumières. Le contexte de crise bloque pas mal d’initiatives et de risques.
Cependant, penser et agir comme on pense reste toujours possible comme un idéal à atteindre.
Conclusion : tous ces exemples démontrent que le métier d’éducateur est noble, si et seulement si nous devenons conscients que nous avons la mission de développer l’esprit critique et que pour cela, nous devons donner la parole aux jeunes et aussi une certaine liberté. Nous sommes des guides, mais eux doivent avoir l’occasion de prendre des décisions.
L’éducation ne peut pas être autoritaire et imposer ses idées, car alors les jeunes ne sauront jamais se responsabiliser et devenir matures.